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Literatura e Autoritarismo
Experiência e Esclarecimento
Capa | Editorial | Sumário | Apresentação        ISSN 1679-849X Revista nº 17 

TRADUÇÃO PARA O FRANCÊS DO CONTO DE MACHADO DE ASSIS “A CARTOMANTE”

EQUIPE DE TRADUÇÃO
Luciana Iost Vinhas, Mara Karam Conceição, Marcelo Castro da Silva Maraninchi, Maria Laura Maciel Alves (coordenadora)

LA CARTOMANCIENNE (Machado de Assis)



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Hamlet signale à Horacio qu’il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en rêve notre philosophie. Cette même explication, la belle Rita la donnait au jeune Camilo, un vendredi de novembre 1869, lorsqu’il se moquait d’elle car celle-ci était allée le jour précédent consulter une cartomancienne; la différence, c’est qu’elle employait d’autres paroles.
- Vas-y, tu peux bien te moquer de moi. Les hommes sont comme ça; ils ne croient à rien. Sache donc que j’y suis allée et qu’elle a deviné le motif de la consultation, avant même que je ne lui dise de quoi il s’agissait. A peine a-t-elle commencé à tirer les cartes qu’elle m’a dit : «Vous aimez quelqu’un... ». J’ai avoué que oui et alors elle a continué à étaler les cartes, à les combiner et à la fin m’a déclaré que j’avais peur que tu ne m’oublies, mais que c’était à tort.
- Elle s’est trompée! interrompit Camilo, en riant.
- Ne dis pas ça, Camilo. Si tu savais comme je me sens à cause de toi. Tu le sais, je t’ai déjà dit. Ne te moque pas de moi, ne te moque pas...
Camilo lui prit les mains et la dévisagea d’un regard sérieux et intense. Il jura qu’il l’aimait beaucoup, qu’elle s’effrayait comme un enfant. De toute façon, si elle avait la moindre crainte, la meilleure cartomancienne, c’était encore lui. Puis, il la gronda; il lui dit qu’il était imprudent de fréquenter ces maisons-là. Vilela pouvait le savoir et puis...
- C’est impossible, j’ai fait très attention en entrant.
- Où est la maison?
- Tout près d’ici, rue de la Guarda Velha ; il ne passait personne à ce moment-là . Rassure-toi; je ne suis pas folle.
Camilo rit de nouveau:
- Est-ce que tu crois vraiment à ces choses-là? lui demanda-t-il.
C’est alors qu’elle, sans savoir qu’elle traduisait en langue vulgaire Hamlet, lui dit qu’il y avait beaucoup de choses mystérieuses et vraies en ce monde. S’il n’y croyait pas, tant pis, mais il était sûr que la cartomancienne avait tout deviné. Quoi encore? La preuve, c’est qu’elle était maintenant heureuse et tranquille.
Je crois qu’il était sur le point de parler, mais il se retint .Il ne voulait pas détruire ses illusions. Dans son enfance et même plus tard, lui aussi, il fut superstitieux,

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avec tout un arsenal de croyances que lui avait inculquées sa mère et qui disparurent vers sa vingtième année. Le jour où il se débarrassa de toute cette végétation parasite et qu’il ne resta que le tronc de la religion, lui qui avait reçu de sa mère les deux enseignements, les enveloppa dans le même doute et ensuite dans une négation totale. Camilo ne croyait à rien. Pourquoi ? Il ne saurait le dire, il n’avait pas un seul argument. Il se bornait à tout nier. Et je m’exprime mal car nier, c’ est encore affirmer et il ne formulait pas son incrédulité. Devant le mystère, il se contenta de hausser les épaules, et continua son chemin.
Ils se separèrent ravis, lui encore plus qu’elle. Rita était sûre d’être aimée ; Camilo non seulement avait cette certitude mais aussi la voyait frémir et s’exposer pour lui, courir chez les cartomanciennes et quoiqu’il la grondât, il ne pouvait pas s’empêcher d’être flatté. La maison de leur rendez-vous se trouvait dans l’ancienne rue des Barbonos, où habitait une femme venue de la même province que Rita. Celle-ci descendit par la rue des Mangueiras, vers Botafogo, où elle habitait. Camilo descendit par la Guarda Velha jetant un coup d’oeil sur la maison de la cartomancienne.
Vilela, Camilo et Rita, trois noms, une aventure et aucune explication de leurs origines. Venons-en aux faits. Les deux premiers étaient amis d’enfance. Vilela suivit la carrière de magistrat. Camilo entra dans la fonction publique, malgré son père qui souhaitait le voir médecin, mais son père mourut et Camilo préféra ne rien être du tout, jusqu’à ce que sa mère lui trouvât un emploi dans l’administration. Au début de 1869, Vilela rentra de province où il avait épousé une femme, belle et frivole. Il abandonna la magistrature et ouvrit un cabinet d’avocat. Camilo lui trouva une maison du côté de Botafogo et alla le recevoir à bord.
- C’est vous? s’exclama Rita en lui tendant la main. Vous ne pouvez pas vous imaginer comme mon mari vous estime, il parle tout le temps de vous.
Camilo et Vilela se regardèrent avec tendresse. C’étaient de vrais amis.
Puis, Camilo avoua à lui-même que la femme de Vilela ne démentait pas les lettres de son mari. En effet, elle était gracieuse et vive dans ses gestes, avec ses regards chauds, sa bouche fine et interrogative. Elle était un peu plus âgée qu’eux: elle avait trente ans, Vilela vingt-neuf et Camilo vingt-six. Néanmoins l’allure grave de Vilella le faisait paraître plus âgé que sa femme, tandis que Camilo était naïf dans la vie morale et pratique. Il lui manquait et l’action du temps et les lunettes de cristal que la nature met

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dans le berceau de quelques-uns pour faire avancer les années. Point d’expérience, point d’intuition.
Ils ne se quittèrent plus tous les trois. La fréquentation apporta l’intimité. Peu après mourut la mère de Camilo et dans ce désastre, et c’en fut un, les deux lui témoignèrent une grande amitié. Vilela s’occupa de l’enterrement, des messes et de l’inventaire. Rita prit soin spécialement du coeur de Camilo et personne ne saurait mieux le faire.
Comment ils en arrivèrent à l’amour, il ne le sut jamais. En verité, il aimait passer tout son temps à ses côtés. C’était son infirmière morale, presque une soeur, mais surtout elle était femme et belle. Odor di femina: voilà ce qu’il respirait en elle et autour d’elle, pour s’en imprégner. Ils lisaient les mêmes livres, allaient ensemble au théâtre et à la promenade. Camilo lui apprit le jeu de dames et les échecs et ils jouaient le soir; elle, plutôt mal et lui, pour lui faire plaisir, un peu moins mal. Voilà ce qui est des choses. Maintenant, l’action du personnage, les yeux obstinés de Rita, qui cherchaient bien souvent les siens, qui les sondaient même avant de consulter ceux de son mari, les mains froides, les attitudes insolites. Un jour, lors de son anniversaire, il reçut de Vilela une jolie canne en cadeau et de Rita juste une carte avec un compliment banal écrit au crayon, et c’est alors qu’il put lire dans son propre coeur. Il ne réussissait pas à en détourner les yeux. Des mots banals, mais il est des banalités sublimes ou du moins délectables. Le vieux fiacre, où tu t’es promené pour la première fois avec la femme aimée, blottis tous les deux, vaut le char d’Apollon. Ainsi est l’homme, ainsi sont les choses qui l’entourent.
Camilo voulut sincèrement fuir mais il n’en fut plus capable. Rita, tel un serpent, s’approcha peu à peu de lui, l’enroula tout entier, lui fit craquer les os dans un spasme et lui versa goutte à goutte son poison dans la bouche. Il en fut étourdi et subjugué. Honte, craintes, remords, désirs, il éprouva tout en même temps, mais la bataille fut courte et la victoire délirante. Adieu, scrupules! La chaussure prit bien vite la forme du pied, et alors tous les deux s’en allèrent bras dessus, bras dessous, foulant avec aisance des herbes folles et des cailloux, sans éprouver autre chose qu’une petite mélancolie quand ils étaient loin l’un de l’autre. La confiance et l’estime de Vilela demeuraient les mêmes.
Cependant un jour Camilo reçut une lettre anonyme qui le traitait d’immoral et de perfide et disait que l’aventure était connue de tous. Camilo eut peur et pour

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détourner les soupçons il commença à fréquenter Vilela moins souvent. Celui-ci lui signala ses absences. Camilo répondit que la cause était une passion frivole de jeune homme. La candeur fit surgir l’astuce. Les absences se prolongèrent et les visites finirent complètement. Peut-être y entrait-il un peu d’amour-propre, une intention de diminuer les amabilités du mari pour rendre moins dure la trahison de l’acte.
C’est alors que Rita, méfiante et craintive, courut chez la cartomancienne pour la consulter sur la vraie raison de la conduite de Camilo. Nous avons vu que la cartomancienne lui redonna la confiance et que le jeune homme la gronda d’avoir fait ce qu’elle avait fait. Quelques semaines passèrent encore. Camilo reçut deux ou trois lettres anonymes de plus, si passionnées qu’elles ne sauraient être un avertissement de la vertu mais le dépit de quelque soupirant. Telle fut l’opinion de Rita qui formula, à sa façon maladroite, cet aphorisme : « La vertu est paresseuse et avare, elle ne dépense ni temps ni papier. Seul l’interêt est actif et prodigue ».
Camilo ne fut pas rassuré pour autant. Il craignait que l’anonyme ne rendît visite à Vilela : la catastrophe serait alors irrémédiable. Rita convint que cela était possible.
- Eh bien, dit-elle, j’emporte les enveloppes pour comparer l’écriture à celles des lettres qui lui parviendraient. Si jamais c’est la même, je la garde et je la déchire.
Aucune lettre n’apparut mais au bout de quelque temps Vilela commença à se montrer morose, parlant peu, comme s’il se méfiait. Rita se hâta de le raconter à l’autre et ils en discutèrent. À son avis, Camilo devait retourner chez eux, sonder le mari : peut-être entendrait-il même la confidence d’une affaire particulière. Camilo pensait autrement. Venir chez eux après tant de mois, c’était confirmer le soupçon ou la dénonciation. Il vaudrait mieux être prudent et renoncer à se voir pour quelques semaines. Il se mirent d’accord pour s’échanger des lettres, s’il le fallait, et se séparèrent en larmes.
Le lendemain, comme il était à son ministère, Camilo reçut ce mot de Vilela: «Viens tout de suite chez nous, il faut que je te parle sans délai.» Il était midi passé. Camilo sortit vite; dans la rue, il se rendit compte qu’il eût été plus normal qu’il l’appelât à son cabinet. Pourquoi chez lui ? Tout indiquait un sujet spécial et l’écriture, qu’il s’agît de réalité ou d’illusion, lui parut tremblante. Il associa tout cela à ce qu’il avait appris la veille.
- Viens tout de suite chez nous, répetait-il, les yeux fixés sur le papier.

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En imagination, il vit le bout de l’oreille d’un drame, Rita subjuguée et éplorée, Vilela indigné prenant la plume et écrivant le mot, sûr qu’il viendrait et l’attendant pour le tuer. Camilo trembla, il avait peur : puis il sourit jaune et en tout cas il répugnait à l’idée de reculer, et il continua son chemin. Sur sa route il songea à passer chez lui ; peut-être trouverait-il un message de Rita, expliquant tout. Il ne trouva rien, ni personne. Il ressortit et l'idée d'être découvert lui paraissait de plus en plus vraisemblable. Il devait s’attendre à une dénonciation anonyme, venue de la personne même qui l'avait menacé auparavant. Il se pouvait que Vilela fût déjà au courant de tout. La suspension même de ses visites, sans raison apparente, juste sous un prétexte futile, confirmerait le reste.
Camilo marchait, tout inquiet et nerveux. Il ne relisait pas le billet , mais il en connaissait les paroles par coeur, immobiles sous ses yeux, ou bien – ce qui était encore pire, – elles lui étaient murmurées à l'oreille par la voix de Vilela lui-même: «Viens tout de suite chez nous, il faut que je te parle sans délai». Ainsi dites par la voix de l'autre, elles avaient un ton de mystère et de menace. Viens tout de suite, pourquoi faire? Il était environ une heure de l'après-midi. Son trouble grandissait de minute en minute. Il imagina tant ce qui allait se passer qu'il arriva à le croire et à le voir. À n'en pas douter, il avait peur. Il se demanda s'il fallait y aller muni d'une arme, considérant que, si rien ne se passait, il ne perdrait rien et la précaution serait utile. Peu après il repoussa cette idée, honteux de lui-même, et il suivit sa marche, pressant le pas vers le Largo da Carioca pour y prendre un fiacre. Il arriva, y entra et donna l'ordre au cocher de partir au grand trot.
- Le plus tôt sera le mieux, pensa-t-il, je ne peux pas rester comme ça.
Mais justement le trot du cheval aggrava son trouble. Le temps volait et il ne tarderait pas à faire face au péril. Presque au bout de la rue de la Guarda Velha , le fiacre dut s'arrêter. La rue était barrée par une charrette qui était tombée. Camilo, en lui-même, se réjouit de l'obstacle et attendit. Au bout de cinq minutes il observa qu'à son côté, à gauche, devant le fiacre, se trouvait la maison de la cartomancienne que Rita avait consultée et jamais de la vie il n'éprouva un désir si fort de croire aux cartes. Il regarda, vit les fenêtres closes, alors que toutes les autres étaient ouvertes et pleines des curieux de l'incident de la rue. On eût dit la demeure de l'indifférent Destin.
Camilo s’enfonça dans le fiacre pour ne rien voir. Son agitation était grande, extraordinaire, et du tréfonds de son âme émergeaient quelques fantasmes de jadis, les

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vieilles croyances, les superstitions anciennes. Le cocher lui proposa de revenir à la première ruelle et de prendre un autre chemin. Il s’y opposa et lui demanda d’attendre. Et il se penchait pour regarder la maison... Puis il fit un geste incrédule :l’idée de consulter la cartomancienne passait au loin, très loin, sur de grandes ailes grises. Elle disparut, puis reparut, et s’évanouit encore dans sa pensée. Mais au bout d’un instant elle remua de nouveau les ailes, plus près, en traçant des cercles concentriques... Dans la rue, les hommes criaient en dégageant la charrette :
- Allons ! Maintenant ! Poussons ! Allez-y, allez-y!
Bientôt l’obstacle serait franchi. Camilo fermait les yeux, pensait à d’autres choses. Mais la voix du mari lui murmurait à l’oreille les mots du billet : «Viens tout de suite». Et il voyait le déroulement agité du drame et tremblait.La maison le regardait. Ses jambes voulaient descendre et entrer...Camilo se trouva devant un long voile opaque...Il pensa vite à l’inexplicable de tant de choses... La voix de sa mère lui répétait un tas de faits extraordinaires, et la même phrase du prince du Danemark résonnait dans son esprit : «Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en rêve notre philosophie...» Qu’avait-il à perdre si ... ?
Il se trouva sur le trottoir devant la porte. Il dit au cocher d’attendre et s’enfonça vite dans le couloir et monta l’escalier. La lumière était faible, les marches rongées par les pieds, la rampe visqueuse. Cependant il ne vit rien, ne sentit rien non plus. Il grimpa et frappa à la porte. Personne ne venant, il eut l’idée de descendre, mais il était trop tard, la curiosité lui fouettait le sang, ses tempes battaient. Il frappa à nouveau un, deux, trois coups. Une femme vint, c’était la cartomancienne. Camilo dit qu’il venait la consulter, elle le fit entrer. Alors ils montèrent au grenier, par un escalier encore pire que le premier, et plus sombre. Là-haut il y avait une petite pièce, mal éclairée par une fenêtre qui donnait sur le toit de la maison voisine. De vieux meubles, des murs gris, un air de pauvreté qui, loin de détruire le prestige du lieu, l’augmentaient encore.
La cartomancienne le fit asseoir devant la table et s’assit du côté opposé, le dos tourné à la fenêtre, en sorte que la faible lumière du dehors donnait en plein sur le visage de Camilo. Elle ouvrit un tiroir et sortit un jeu de cartes grandes et sales. Tandis qu’elle les mélangeait vite, elle le regardait, pas directement, mais du coin de l’oeil. C’était une femme frisant la quarantaine, italienne, brune et mince, aux grands yeux dissimulés et perçants. Elle retourna trois cartes sur la table et lui dit:

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- Voyons d’abord ce qui vous amène. Vous avez très peur.
Camilo, émerveillé, fit un geste affirmatif.
- Et vous voulez savoir, continua-t-elle, si quelque chose vous arrivera ou non...
- À moi et à elle, expliqua-t-il vivement.
La cartomancienne ne sourit pas. Elle lui dit juste d’attendre. Elle reprit vite les cartes et les mélangea, de ses longs doigts fins, aux ongles mal soignés; elle les mélangea bien, et les coupa, une, deux, trois fois. Puis elle commença à les poser. Camilo ne la quittait pas du regard, curieux et anxieux.
- Les cartes me disent...
Camilo se pencha pour boire une à une ses paroles. Alors elle lui dit de ne rien craindre. Il ne se passerait rien ni à l’un ni à l’autre. Pour le troisième, il ignorait tout, lui. Néanmoins, beaucoup de prudence s’imposait. L’envie et le dépit grouillaient autour d’eux. Elle lui parla de l’amour qui les unissait, de la beauté de Rita... Camilo était aux anges. La cartomancienne finit de parler, ramassa les cartes et les enferma dans le tiroir.
- Madame, vous avez rendu la paix à mon esprit, dit- il en tendant la main par--dessus la table et en serrant celle de la cartomancienne.
Elle se leva, en riant.
- Allez, dit- elle, allez, ragazzo innamorato...
Et debout, avec son index, elle lui toucha le front. Camilo frémit, comme si la main de la sibylle elle-même l’eût touché, et se leva aussi. La cartomancienne alla vers la commode, sur laquelle il y avait une assiette de raisins secs. Elle en prit une grappe, commença à detacher les fruits et à les manger, montrant deux rangées de dents blanches qui contrastaient avec ses ongles. Même dans ce geste banal, la femme avait un air singulier. Camilo, pressé de partir, ne savait comment la payer. Il ignorait le prix.
- Les raisins secs coûtent de l´argent, dit-il enfin, sortant son portefeuille. Combien voulez-vous en faire apporter?
- Demandez-le à votre coeur, repondit-elle.
Camilo sortit un billet de dix mille réis et le lui donna. Les yeux de la cartomancienne étincelèrent. Le prix habituel était de deux mille réis.
- Je me rends compte que vous l’aimez beaucoup. Et vous n’avez pas tort; elle vous aime beaucoup. Allez, allez tranquille. Regardez l’escalier, il est sombre; mettez votre chapeau.

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La cartomancienne avait déjà mis le billet dans sa poche et descendait après lui, parlant avec un léger accent. Camilo prit congé d’elle sur le palier, et descendit l’escalier qui menait à la rue, tandis que la cartomancienne, tout heureuse de l’aubaine, remontait en chantant une barcarolle. Camilo trouva le fiacre qui l’attendait; la rue était libre. Il monta et et l’on partit au grand trot.
Tout lui semblait mieux maintenant, les choses prenaient un autre aspect, le ciel était limpide et les visages joyeux. Il en arriva à rire de ses craintes qu’il traita de puériles. Il se rappela les termes de la lettre de Vilela et reconnut qu’ils étaient intimes et familiers. Où donc avait-il trouvé la menace? Il avisa aussi qu’ils étaient urgents, et qu’il avait eu tort de s’attarder si longtemps. Peut-être s’agissait-il d’une affaire grave, voire très grave.
- Allons, allons vite, répétait-il au cocher.
Et il s’inventa quelque chose pour expliquer son retard à son ami. Il conçut aussi le plan, paraît-il, de profiter de l’incident pour retourner à son ancienne assiduité… Tout en y songeant, les paroles de la cartomancienne lui résonnaient dans la tête. En vérité elle avait deviné le motif de la consultation, son état d’âme à lui, l’existence d’une troisième personne. Pourquoi n’aurait-elle pas deviné le reste? Le présent que l’on ignore vaut l’avenir. C’est ainsi que, lentes et continues, les vieilles croyances du jeune homme remontaient à la surface et le mystère l’empoigna de ses ongles de fer. Parfois il voulait rire et il riait de lui-même, un peu vexé. Mais la femme, les cartes, les paroles sèches et affirmatives, l’exhortation: - Allez, allez, ragazzo innamorato, et à la fin, au loin la barcarolle d’adieu, lente et gracieuse, tels étaient les éléments récents qui formaient , ajoutés aux anciens, une foi nouvelle et vivace.
En réalité, c’est son coeur qui battait joyeux et impatient, en songeant aux heures heureuses d’autrefois et à celles qui viendraient... En passant par la Gloria, Camilo regarda la mer, promena ses regards au loin, jusqu’à la ligne où l’eau et le ciel se donnent un baiser infini, et il eut ainsi la sensation d’un long avenir, d’un long avenir interminable.
Peu après il arriva chez Vilela. Il descendit, poussa la grille du jardin et entra. La maison était silencieuse. Il monta les six marches de pierre et à peine avait-il frappé à la porte qu’elle s’ouvrit, et Vilela parut.
- Excuse-moi, je n’ai pas pu venir plus tôt. Qu’y a-t-il ?

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Vilela ne lui répondit pas; il avait le visage décomposé. Il lui fit signe de passer dans un petit salon. En entrant, Camilo ne put étouffer un cri de terreur. Au fond, sur le canapé, gisait Rita, morte et ensanglantée. Vilela le saisit au collet , et, avec deux coups de revolver, l’étendit mort sur le plancher.
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